En l’an de grâce 614, quelques lunes seulement après que les premiers murmures célestes eurent touché son âme, il nous est rapporté dans les annales de l’histoire musulmane que le Messager de Dieu fut sommé de partager la révélation avec ses plus proches parents. « Avertis tes plus proches parents », tel fut l’ordre divin (26:214).
Pour honorer cette directive céleste, il organisa un banquet modeste, mais empreint de dignité, n’offrant pour tout festin qu’un bol de lait pur, un pain de blé rustique et un morceau de viande, préparés par les mains jeunes, mais déjà assurées d’Alî, alors âgé de quatorze ans. Quarante âmes de sa lignée, incluant ‘Abdul-Muttalib, Abû Tâlib, al-‘Abbâs, Hamzah et Abû Lahab, acceptèrent cette invitation solennelle.
Mohammad, humble hôte, servit ce repas en invoquant le nom d’Allâh. Un premier miracle se manifesta : tous furent rassasiés sans qu’aucune ressource ne fût diminuée, preuve de la bénédiction Divine. Abû Lahab, le cœur assombri par le scepticisme, émit alors des accusations d’ensorcellement contre Mohammad, troublant ainsi l’assemblée avant de la quitter précipitamment.
Néanmoins, le Prophète, inébranlable, convia de nouveau ses proches. Sans délai, il leur adressa ces mots : « Ô fils de ‘Abdul-Muttalib ! Je vous apporte un message qui promet le bien pour cette vie et l’au-delà. Me croiriez-vous si je vous annonçais qu’un ennemi est sur le point de nous attaquer ? » Sa réputation d’homme véridique et de confiance lui valut leur affirmation sans équivoque.
Il poursuivit : « Allâh m’a choisi pour vous guider et m’ordonne de débuter par vous. Ne demeurez pas dans l’infidélité. À travers les âges, Allâh a toujours désigné un héritier et un successeur parmi les proches du Messager. Qui parmi vous m’assistera et deviendra mon héritier et successeur ? Il sera pour moi ce que le Prophète Hâroun fut pour le Prophète Mûsâ. »
L’assemblée, cependant, demeura hésitante, nul ne semblant prêt à embrasser le rôle de guide spirituel que proposait Mohammad. C’est alors que ‘Alî, bouleversé par le manque de respect des invités, s’avança avec fougue. Mais Mohammad, dans un geste de douceur, le calma, demandant la patience en attendant que l’âge et la sagesse s’expriment.
Malgré trois invitations répétées sans succès, ‘Alî, avec un élan de courage, se déclara prêt à servir, proclamant : « Ô Prophète, je suis l’homme que tu cherches. Quiconque se lève contre toi, je lui briserai les jambes et l’éventrerai. Ô Prophète ! Je t’assisterai et je serai ton vizir auprès d’eux. »
Mohammad, ému, enlaça ce généreux jeune homme, annonçant : « Voici mon frère, mon lieutenant et mon successeur (ou Calife). Ecoutez-le tous et obéissez-lui. »
L’assemblée, dans une cacophonie de rires moqueurs, incita Abû Tâlib à se soumettre devant son fils ‘Ali et à lui jurer obéissance.
Ainsi se dispersèrent les invités du Prophète, enveloppés dans leur mécréance et leur ignorance.
Depuis les premiers jours de sa prophétie, Alî fut ouvertement désigné par le Prophète comme son frère, son lieutenant et son successeur, un ordre clair pour tous de lui obéir. Ce récit, loin d’être une exclusive chiite, traverse indifféremment les écrits sunnites d’histoire et de hadith. Comment pourrait-on concevoir que Dieu et Son Prophète laisseraient la décision de sa succession à l’appréciation des compagnons, à l’aléa des interprétations humaines et des considérations purement politiques ?
Dès lors, ce récit illustre non seulement la perspicacité et la prévoyance du Prophète, mais aussi les épreuves qui jalonnent la transmission d’un message divin. Le dévouement d’Alî, émergeant malgré le doute et l’opposition, incarne la perpétuation de la foi, le courage de se tenir aux côtés de la vérité quand tous semblent s’en détourner. Sa déclaration, ardente et impérieuse, scelle non seulement son destin, mais aussi celui de la communauté musulmane, définissant un chemin de fidélité et de dévotion.
Ce moment charnière, teinté de défis et de révélations divines, demeure un testament à la profondeur des liens spirituels et à la responsabilité inhérente à ceux choisis pour guider. Il nous rappelle que les choix faits dans des circonstances extraordinaires résonnent à travers les âges, influençant non seulement le cours des vies, mais aussi celui de l’histoire entière.
Ainsi, la narration de ces événements dans les textes islamiques ne se veut pas seulement historique, mais aussi didactique, enseignant à travers les générations les valeurs de vérité, de loyauté et de sacrifice. Elle nous invite à méditer sur la complexité des responsabilités divines confiées et sur l’écho éternel des décisions prises sous le regard de Dieu.
La succession du Prophète Mohammad, loin d’être un sujet de discorde, devrait être envisagée comme un miroir reflétant les principes les plus sacrés de l’islam, où chaque croyant est appelé à reconnaître les signes de la volonté divine et à s’y conformer avec foi et humilité.
(Prochain article : Chapitre 5 : La route vers Médine)
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