À l’orée de la nuit, quand le voile obscur de l’inconnu se tissait autour de la ville, le Prophète, après avoir quitté discrètement sa demeure, croisa le chemin d’un certain Abû Bakr, non pas le compagnon, mais un célèbre pisteur et guide de l’époque. Ensemble, ils tournèrent le dos aux étoiles qui s’élevaient au-dessus de Médine, déjouant ainsi les suppositions naturelles des Mecquois. D’un pas résolu, ils s’engagèrent vers le sud, avançant à travers le silence nocturne, enveloppés par le manteau d’une obscurité bienveillante.
Après une ascension éreintante d’une heure et demie, ils se trouvèrent face à la majestueuse Montagne de Thawr, gravissant un passage rocheux, tortueux et exigeant. Au sommet, le destin leur offrit un abri : une grotte discrète, l’ouverture étroite de laquelle acceptait à peine le passage de deux âmes en quête de sécurité. Le guide Abû Bakr, animé par une détermination vigilante, s’engagea le premier. Il nettoya et prépara le sanctuaire de pierre avec soin, faisant ensuite place au Prophète.
Tandis que la lune montait haut dans le ciel, une araignée, dans un acte que les générations à venir loueraient comme une protection divine, ourdit une toile épaisse à l’entrée de la grotte. Non loin de là, la nature elle-même semblait conspirer à leur camouflage : une touffe de végétation rapidement apparue devenait le théâtre de vie d’un pigeon qui y déposa ses œufs et y construisit son nid, conférant à la grotte l’apparence d’un lieu depuis longtemps abandonné.
Cependant, les Quraych, fou de rage et impatients de retrouver leur cible, proclamèrent une récompense de cent chameaux pour la capture du prophète Mohammad, mort ou vif. Persistants, ils dépêchèrent des éclaireurs qui ratissèrent chaque crevasse et recoin aux environs de la Mecque. Lorsque ces derniers se rapprochèrent de la grotte de Thawr, l’anxiété s’empara du guide du Prophète qui, pris de tremblements, murmurait des craintes d’une découverte imminente. Mais le Prophète, d’une voix calme, revêtu de sérénité divine, lui assura : « N’aie pas peur, Allah est avec nous ».
Les éclaireurs, trompés par la toile d’araignée intacte et le nid paisible du pigeon, en déduisirent que l’endroit était inoccupé depuis des temps immémoriaux. Ils se détournèrent ainsi de la grotte sans y prêter davantage d’attention, laissant derrière eux deux âmes enveloppées dans la quiétude de leur refuge providentiel.
Durant trois longs jours, Mohammad et son guide partagèrent la solitude et l’incertitude d’une grotte austère perchée sur les pentes stériles d’une montagne farouche. Cependant, une sérénité inébranlable imprégnait l’âme du Prophète, tissée de sa foi constante et profonde en Dieu. Au terme de cette attente, alors que la fièvre de la poursuite retombait et que l’effervescence des premiers instants s’évanouissait, le dévoué ‘Alî leur apporta des chameaux et un guide sûr, les chargeant de les escorter hors des chemins battus, en direction de Médine. Au crépuscule du lundi 5 Rabî’ al-Awwal, ils reprirent leur voyage vers l’horizon de la liberté.
Le second jour de cette échappée, alors que la menace de la capture semblait s’estomper dans le murmure rassurant du désert, ils discernèrent une silhouette qui se dessinait à l’horizon, se rapprochant inéluctablement. C’était Soraqah Ibn Mâlik, toujours avide de la récompense promise pour la capture de Mohammad. À cette vue, le guide Abû Bakr, étreint par l’angoisse, exprima sa crainte de leur destin imminent. Mais Mohammad, pilier de foi et de calme, rassura son compagnon avec la douce certitude que « Allah est avec nous ».
Dans un élan de désespoir et de dévotion, Mohammad éleva alors ses prières vers le ciel, implorant la protection divine. Au moment même où leur poursuivant gagnait du terrain, son cheval, comme frappé par une puissance invisible, se cabra avant de s’effondrer au sol, plaçant Soraqah dans une impasse. Frappé par l’ampleur de cet événement surnaturel, le poursuivant fut saisi par la révélation de l’intervention divine. Dans un geste de contrition, il implora le pardon du Prophète et jura de garder son secret. Touché par cet acte de repentance, Mohammad pria pour lui, et le cheval, réanimé, se releva. Soraqah, transformé par l’expérience, rebroussa chemin vers la Mecque, tandis que le Prophète et son guide, rassurés et guidés par la main invisible de la providence, poursuivirent leur route vers l’avenir, longeant le rivage serein de la mer.
Avant cette rencontre avec son poursuivant, dans le calme ressourçant de Qadid, le Prophète s’était accordé un instant de repos sous une tente légère qui s’élevait modestement sur le domaine de la noble Om Ma’bad. Après cette halte revigorante, il prit congé de cet abri d’une simplicité lumineuse pour poursuivre sa route. Avant de quitter ce lieu, enveloppé dans la solennité d’une pause contemplative, il accomplit ses ablutions, arrosant d’eau une modeste plante nichée à l’ombre de la toile. Le lendemain, cette frêle végétation s’était métamorphosée en un arbre majestueux, dont les branches étaient chargées de fruits exquis et les feuilles, d’une taille et d’une vigueur sans précédents, murmuraient un secret d’opulence.
Ce miracle suscita l’émerveillement. Les fruits, débordant d’une saveur divine, furent proclamés délices par tous ceux qui en goûtèrent. L’arbre, symbole de bénédiction céleste, devint un refuge de guérison. Ses feuilles, imprégnées de vertus mystiques, furent recherchées par les malades et leur prodiguèrent soulagement et consolation. La réputation de cet arbre traversa rapidement les confins des territoires environnants, attirant à lui des foules de fidèles et de curieux.
Mais comme tout phénomène lié à la vie mortelle, l’arbre connut des moments de déclin. À la mort du Prophète, dix ans après sa miraculeuse transformation, l’arbre perdit soudainement tous ses fruits, comme pour pleurer la disparition de celui qui lui avait donné vie. Plus tard, au jour du tragique destin d’Ali qui fut assassiné, les fruits tombèrent une nouvelle fois, présageant un futur désormais privé de miracles. Finalement, avec le martyre d’Al-Hussayn à Karbalâ, un liquide d’une teinte pourpre inonda son écorce, avant que l’arbre ne rende son dernier souffle.
En ces jours tumultueux, ‘Ali, épuisé et les pieds meurtris par son voyage, retrouva enfin le Prophète. Ce dernier, touché par la souffrance de son compagnon, fut saisi d’une émotion profonde, des larmes d’affection perlaient sur ses joues tandis qu’il étreignait son ami. Dans un geste empreint de compassion et de puissance, le Prophète appliqua sa salive sur les plaies sanguinolentes d’Ali, invoquant le divin pour le guérir. Sous ses mains, une guérison miraculeuse se manifesta, témoignage de la profonde union spirituelle et de l’amour qui liait ces deux êtres exceptionnels.
Suite : Chapitre 7 : La Fondation de la première Mosquée à Qobâ