L’Imam Abou Mohammad AL-HASSAN Ibn (fils de) ‘Alî Ibn Abî Tâlib est le premier fils de I’Imam ‘Alî, cousin du Prophète et son plus fidèle compagnon et soutien, et de Fâtimah al-Zahrâ’, la « Meilleure Fille » du Prophète et la « Maîtresse des Femmes des Mondes » selon les propres termes du Messager de Dieu (saw).
Il est donc le fruit d’un couple béni dont l’union s’est réalisée sur ordre de Dieu et dont les descendants ont reçu par anticipation les bénédictions exceptionnelles du Messager de Dieu.
Le jour de leur mariage, le Prophète de Dieu pria : « Mon Dieu, ce sont les deux êtres que j’aime le plus parmi la création. Bénis donc par moi leur descendance et fais-les escorter par un gardien de Ta part. Je les place ainsi que leur progéniture sous Ta Protection contre Satan le réprouvé ».
Le premier descendant de la Maison du Prophète naquit au milieu du mois béni de Ramadân en l’an 3 de l’Hégire à Médine.
Lorsque Fâtimah al-Zahrâ’ proposa à l’Imam ‘Alî de donner un nom au nouveau-né, il lui dit qu’il ne pouvait pas se permettre de devancer le Messager de Dieu dans cette tâche.
C’est que l’Imam ‘Alî savait d’ores et déjà que le Prophète considérait ce premier enfant de sa fille comme son propre fils et combien cette naissance lui tenait à coeur.
Si la naissance d’al-Hassan et avant elle le mariage de ses parents étaient deux occasions pour le Prophète de fixer à travers les êtres les plus aimés de son coeur, des Traditions à la Ummah, l’amour qu’il continuera d’exprimer à l’égard de son petit-fils pendant les quelques années qu’il lui restait à vivre, lui permettra de tracer aux Musulmans beaucoup d’autres lignes de conduite et d’apporter à ce dernier (al-Hassan) les premiers éléments indispensables à l’équilibre de la personnalité.
Cet amour et cette affection du Messager pour le premier descendant de la « Maison du Message » étaient devenus d’autant plus de notoriété publique qu’ils contrastaient avec l’attitude généralement assez distante d’un père envers son enfant dans les milieux bédouins de l’époque.
« Le Prophète prenait al-Hassan et l’étreignait en disant: Mon Dieu c’est mon fils, je l’aime et j’aime celui qui l’aime ». Cité par plusieurs sources. Voir: – Al-Fuçûl al-Muhimmah d’Ibn al-Çabbâgh al-Mâlikî; – A’lâm al-Warâ d’al-Tabarsi; – Ahl-Elbeit de Tawfîq Abu ‘Alam… etc. Cité par M. J. Fadhlullâh, op. cit., p.
Al-Hassan perdit son grand-père à l’âge de 8 ans. Le Prophète (saw) n’aura donc veillé sur son petit-fils que pendant la phase de sa première enfance. Mais la présence active du Messager tout au long de cette phase importante de son éducation joua un rôle primordial dans la formation de sa forte personnalité, dans la noblesse de son caractère, dans la perfection de sa conduite islamique. En effet, la passion, l’affection et la tendresse presque anachroniques – à l’époque – que le Prophète manifesta envers al-Hassan s’avérèrent être non seulement la simple expression de l’amour naturel d’un grand-père envers son premier «fils» ou descendant, mais elles traduisirent surtout la volonté du Messager d’assurer à ce dernier une éducation exemplaire.
En outre, si les premiers Compagnons du Prophète tenaient son petit-fils en si haute estime c’est parce qu’ils savaient que ce dernier faisait partie des rares privilégiés dont la vertu et la pureté sont attestées même dans le noble Coran, lequel est la constitution de la Ummah. En effet selon un hadith authentique et sain (rapporté entre bien d’autres par: Muslim dans son Çahih, al-Tarmidi dans son Çahih, al-Nissâ’ï dans Al-Khaçâ’iç, al-Tabari dans son Tafsir): « Le Prophète a couvert un jour ‘Alî, Fâtimah, al-Hassan et al-Hussayn d’un voile et dit:
– Ô mon Dieu! Ce sont les gens de ma maison! Eloigne donc d’eux la souillure et purifie-les totalement. Et c’est pour exaucer cette prière du Prophète que Dieu descendit le fameux «Verset de Purification» annonçant la pureté des Ahl-ul-Bayt (les Gens de la Maison) et leur dépouillement de toute souillure: «Ô vous, les Gens de la Maison (Ahl-ul-Bayt)! Dieu veut éloigner de vous la souillure et vous purifier totalement». (Sourate Al-Qhzâb, 33: 33)
Si dans la phase de la première enfance d’al-Hassan – où l’éducation consiste en un milieu sain et un climat d’amour, de tendresse et de tolérance dans lequel évolue l’enfant – le Prophète (saw) et Fâtimah al-Zahrâ’ formaient avec l’Imam ‘Alî ce milieu et assuraient ce climat; à partir de sa seconde enfance qui coïncida avec le décès de son grand-père et de sa mère (à huit mois d’intervalle) et où commencent les phases de l’apprentissage et de l’acquisition des connaissances, l’Imam ‘Alî deviendra son principal maître et éducateur et veillera sur sa formation et sur le perfectionnement de sa personnalité et de son expérience jusqu’à l’âge de 37 ans.
Entre la mort du Prophète et celle de l’Imam ‘Alî, une trentaine d’années s’écouleront pendant lesquelles l’Imam al-Hassan restera toujours présent aux côtés de ce dernier sur l’avant-scène de la direction de l’Etat islamique, et aura de ce fait toutes les occasions de puiser dans l’immense savoir islamique de son père, de manifester ses qualités transmises par le Prophète ou acquises auprès de son père, et d’être rompu aux affaires de la direction de l’Etat islamique.
C’est à partir du Califat de ‘Othman qu’al-Hassan, déjà mature et dépassant la vingtaine, commence à donner la mesure de sa personnalité et à présenter les signes d’un futur digne successeur du Messager. Jour après jour, les principes et les qualités que lui avaient transmis et inculqués son grand-père et son père devenaient plus évidents.
Auréolé du prestige du Prophète et imprégné du savoir, de l’éloquence et du courage de l’Imam ‘Alî, il conquit vite une place de choix dans les premiers rangs des compagnons et des grandes figures de la Ummah. Grand connaisseur de la Chari’a, esprit judicieux, combattant et défenseur intransigeant de l’intégrité du message et de la Sunna du Prophète, il participa par ses actes et ses opinions aux affaires de l’Etat islamique et à la défense de son unité et de son intégralité.
S’il fut souvent présent dans les séances du Calife, il ne manqua pas de s’engager dans les armées islamiques qui s’apprêtaient à traverser le Maghreb et la lointaine Afrique pour le besoin de la cause islamique.
A diverses occasions, l’Imam al-Hassan montra en présence de ‘Othman et de hauts dignitaires de la Ummah qu’il était un homme d’ijtihâd (jugement personnel déduit des préceptes de la Chari’a) et qu’il avait son mot à dire concernant les grandes affaires de l’Etat islamique. Aussi n’hésitait-il pas à dire son mécontentement de certains de l’entourage du Calife, tels les ex-Tulaqâ’ qui passaient souvent outre aux règles de la Chari’a.
Mais ce souci de préserver l’expérience de tout ce qui constituerait un accroc à la morale islamique n’empêchait pas al-Hassan de manifester, sous l’impulsion de son père, et dès les premières années de sa maturité, un autre souci majeur: sauvegarder l’unité de l’Islam.
Aussi son mécontentement à l’égard de l’entourage de ‘Othman ne le détourna-t-il pas de son devoir de défendre ce dernier, Calife officiel des Musulmans et symbole de leur unité, et de se tenir à ses côtés, prêt à se sacrifier pour le protéger contre les masses des contestataires qui, exaspérés par la corruption prolongée du gouvernement, s’apprêtaient à attenter à sa vie.
Ainsi, dès la première heure où s’est déclenchée l’émeute qui allait déboucher sur l’assassinat de ‘Othman, al-Hassan fut parmi les rares médinois qui se sont battus contre les rebelles.
Lorsque, par la suite, ‘Othman se voyant assiégé, écrit à l’Imam ‘Alî pour l’informer de la gravité de sa situation, celui-ci malgré sa brouille avec le Calife, dépêcha al-Hassan à la tête d’un groupe de ses partisans et proches, avec armes et munitions, en leur demandant de garder la maison du Calife.
Lorsque l’Imam ‘Alî accéda au Califat, al-Hassan était déjà en pleine maturité et comptait parmi les grandes figures de proue de la Ummah. Dépassant la trentaine, il avait pu au fil des ans renforcer sa position de premier descendant chéri du Prophète, de l’Imam ‘Alî et de Fâtimah, par l’acquisition d’un savoir immense et d’une expérience solide auprès de son père, dans tous les domaines de la vie islamique. Ce savoir et cette expérience, il aura l’occasion de les mettre en pratique et de les enrichir encore plus durant les quatre années que durera le Califat de son père dont il devint le bras droit et le second.
Le 19 Ramadân de l’an 40 de l’Hégire, le Khârijite ‘Abdul Rahmân Ibn Muljim frappa l’Imam ‘Alî d’un coup d’épée empoisonnée alors qu’il dirigeait la prière du matin à la mosquée de Kûfa. L’Imam ‘Alî ne survivra pas à cette blessure mortelle. Il mourra en martyr la nuit du 21 du même mois.
Prédésigné à l’Imamat par le Texte (le Prophète ayant dit: al-Hassan et al-Hussayn sont deux Imams, qu’ils soient debout ou assis) et désigné par l’Imam ‘Alî, sur ordre du Prophète, pour cette même dignité ou autorité, al-Hassan devint après la mort de son père, le deuxième Imam des Musulmans, c’est-à-dire leur plus haute autorité juridico-religieuse, le représentant et le successeur légal du Prophète, et le gardien du Message.
On sait qu’après le décès du Prophète deux thèses se sont opposées l’une à l’autre à propos de sa succession.
La première était celle du « respect scrupuleux du Texte ». Elle insistait sur la nécessité absolue de respecter scrupuleusement le texte, tout le texte, y compris la partie qui confiait la succession du Messager à l’Imam ‘Alî. Elle corroborait son assertion par de nombreux hadith (notamment Hadith al-Dâr, Hadith al-Ghadîr, Hadith al-Manzilah, etc…) reconnus valables par tous les Musulmans et dans lesquels le Prophète désigne explicitement et implicitement l’Imam ‘Alî comme successeur.
La seconde thèse ou plutôt courant, était celui de chourâ. Ses tenants pensaient que la succession du Prophète devait être assurée par une sorte de chourâ (consultation) et estimaient que les hadiths précités n’équivalaient pas à une désignation formelle de l’Imam ‘Alî.
Le lendemain de la nuit où l’Imam ‘Alî rendit l’âme (soit le 21 Ramadhân de l’an 40 de l’hégire) l’Imam Al-Hassan prononça à l’intention des Musulmans endeuillés un discours dans lequel il laissa entendre qu’il était prêt à assumer sa responsabilité et à prendre la direction de la Ummah.
« Je suis le fils de l’Annonciateur de Bonne Nouvelle. Je suis le fils de l’Avertisseur. Je suis le fils de celui qui appelle à Dieu avec sa permission. Je suis le fils du «Brillant Luminaire». Je suis l’un des Gens de la Maison que Dieu a dépouillés de toute souillure et purifiés totalement(124). Je suis l’un des Gens d’une Maison dont l’amour est imposé par Dieu dans son Livre où il est dit (à ce propos): « Dis! Je ne vous demande aucun salaire pour cela si ce n’est votre affection envers vos proches. A celui qui accomplit une belle action, nous répondrons par quelque chose de plus beau encore« .(125) Or, cette belle action, c’est l’affection envers nous, Ahl-ul-Bayt ».
Lorsque l’Imam al-Hassan termina son discours, ‘Abdullah Ibn al-‘Abbes vint auprès de lui et s’écria: « Ô masses de Musulmans. Voici le fils de la fille de votre Prophète et l’héritier présomptif de votre Imam. Prêtez-lui donc serment d’allégeance ».
Dès son accession au Califat, il nomma les fonctionnaires et désigna les nouveaux gouverneurs des provinces. Et fait significatif, il procéda tout de suite à l’augmentation de la paie des soldats, mesure annonciatrice d’une mobilisation générale virtuelle. En fait, déterminé à s’acquitter parfaitement de sa tâche, il pensait que son devoir le plus pressant était de sauvegarder l’unité de la Ummah, donc de mettre fin à la rébellion de Mu’âwiyeh qui multipliait les coups de main contre l’autorité des représentants du Califat et à qui l’Imam ‘Alî s’était apprêté à livrer la bataille finale avant qu’il ne tombât en martyr.
Pour sa part, Mu’âwiyeh, ayant appris la désignation d’al-Hassan au Califat, décida d’agir rapidement et d’envoyer des espions et des fauteurs de troubles dans le territoire contrôlé par le Calife officiel afin d’y répandre des rumeurs discréditant la Famille du Prophète et vantant les mérites des Omayyades, espérant pouvoir ainsi mettre fin au Califat- Bien-Dirigé et instaurer à sa place un royaume dynastique Omayyade. Aussi constitua-t-il un réseau d’espionnage et dépêcha-t-il deux de ses agents, l’un de la tribu de Himyar, l’autre des Bani Qîr respectivement à Kûfa et à Basrah pour qu’ils s’infiltrent dans la population afin de s’informer de la situation et provoquer des troubles dans ces deux grands centres de l’Islam de l’époque.
Al-Hassan ayant découvert ce plan de subversion, mit les deux agents hors d’état de nuire et écrivit à Mu’âwiyeh pour l’avertir: « Tu as glissé tes agents pour créer des troubles et commettre des attentats. Tu as, en outre, posté des guetteurs comme si tu voulais l’affrontement. Tu l’auras bientôt, si Dieu le veut ».
Al-Hassan comprit qu’il ne pouvait faire entendre raison à Mu’âwiyeh qui ne voulait rien que le pouvoir. Dès lors, il était inévitable que le représentant officiel et l’Imam légal de la Ummah mobilise les Musulmans pour essayer d’enrayer l’action répréhensible de Mu’âwiyeh.
Le fils d’Abou Sufiyân qui dissimulait à peine ce mépris pour les nobles principes de la Chari’a qu’avait apportée le Prophète Hâchimite, n’était pas quelqu’un que le prestige de l’Imam al-Hassan et sa haute position dans la Ummah arrêtaient. Tout au contraire, le fait d’avoir pour adversaire, le petit-fils du Prophète, semblait lui fournir l’occasion idéale d’étancher sa soif de pouvoir et d’assouvir la haine Ommayade envers celui qu’il considérait au plus profond de lui-même comme l’héritier de tous ceux qui avaient réduit les siens au rang de Tulaqâ.
Mu’âwiyeh qui était déterminé à provoquer une désintégration intérieure en jetant le discrédit sur son commandement, lui et les Tulaqâ’ réussirent depuis l’époque de Calif ‘Othmane peu à peu à vider l’Expérience islamique de son sens et de son contenu réel, à la dévier de sa voie initiale, à répandre leurs moeurs au relent jâhilite, à semer la confusion dans les esprits, et à renverser la situation à leur profit: désormais ce n’étaient plus eux qui n’avaient pas qualité pour présider à la destinée de la Ummah, mais ceux-là mêmes qui s’inquiétaient à juste titre de leur présence à la direction de l’Etat islamique, c’est-à-dire les représentants légaux du Message et les Compagnons pieux du Prophète.
Quand l’Imam al-Hassan accéda au Califat, les effets nocifs de la corruption des Tulaqâ’ avaient tellement intoxiqué la nation islamique que, tenter à tout prix de les annihiler immédiatement et par la force aurait compromis tous les efforts que l’Imam ‘Alî avait déployés pour sauvegarder durablement la ligne du Prophète.
Ayant perdu tout espoir de pouvoir compter sur une armée capable sinon d’obtenir une victoire décisive sur les troupes de Mu’âwiyeh, du moins de leur tenir tête, l’Imam al-Hassan finit donc par envisager avec un serrement de coeur l’idée de la « Réconciliation », espérant que cet énorme sacrifice lui permettrait de sauvegarder l’essentiel de ce qu’il avait la charge de garder et le devoir de sauver: l’avenir du Message.
Réconciliation invraisemblable, car depuis l’accession de l’Imam al-Hassan au Califat, toutes les conditions objectives et subjectives – à quelques exceptions près étaient réunies pour que la bataille entre le camp de la légitimité islamique et celui de la rébellion fût engagée au plus tôt.
Du côté de Mu’âwiyeh, animé qu’il était par son ambition pour le pouvoir et sa haine noire pour la Famille du Prophète, et fort de la puissance et de la cohésion de son armée, il avait en principe tout intérêt à engager le plus tôt possible l’épreuve de force contre le camp du Calife en titre en profitant de sa division et de son affaiblissement après l’assassinat de l’Imam ‘Alî.
Du côté de l’Imam al-Hassan, les raisons de livrer cette bataille étaient encore plus solides, et plus nombreuses. En tout cas une seule suffisait: le Calife légal avait en principe le devoir de le faire quelqu’en soit le résultat, si cela ne tenait qu’à lui évidemment.
En outre, l’Imam al-Hassan était un homme intransigeant, qui ne badinait pas avec les principes, un esprit combatif qui ne se laissait pas intimider, et il connaissait mieux que quiconque Mu’âwiyeh, son passé et ses arrière-pensées pour savoir qu’il était nécessaire de le combattre.
Ceci dit, il faut comprendre que si, malgré toutes ces raisons, ladite bataille apparemment inévitable tarda à s’engager pour être finalement évitée (grâce au sens aigu du devoir et à la lucidité de l’Imam al-Hassan, ainsi qu’à la maîtrise de soi qui caractérisait tous les Imams d’Ahl-ul-Beyt) c’est parce qu’elle avait cette particularité que son enjeu résidait moins dans son issue immédiate – victoire ou défaite – que dans les conditions de son engagement et ses conséquences à court, à moyen et à long termes.